Conférenciers

 

Julien Boyadjian

Le rapport des étudiants à la culture à l’ère numérique : éclectisme indistinct ou éclairé ? 

 

Le rapport des jeunes étudiants français à la culture se caractérise-t-il par une forme d’éclectisme indistinct ? Les plus récents travaux consacrés aux goûts et pratiques culturels des Français (Lombardo et Wolff, 2020) laissent en effet entrevoir dans cette catégorie sociale une claire tendance à l’« omnivorisme », renforcée d’autant plus par la numérisation des pratiques culturelles. Les étudiants des années 2020 seraient ainsi bien différents de ceux des « héritiers » (Bourdieu et Passeron, 1964) et de leur « snobisme culturel ». Partant de ce constat, peut-on en conclure que la théorie de la légitimité culturelle n’est plus opérante pour saisir le rapport des étudiants à la culture à l’ère numérique ? Pour répondre à cette question, cette communication s’appuie sur les résultats d’une enquête par questionnaire, entretiens, et observations en ligne menée auprès de différents publics étudiants, socialement diversifiés. Au-delà d’une forme évidente d’éclectisme culturel, l’enquête met également au jour des différences sociologiques sensibles entre les publics, et invite à dissocier l’éclectisme « éclairé » des étudiants des filières élitistes de l’éclectisme « indistinct » des publics étudiants populaires.

 

Biographie

Julien Boyadjian est maître de conférence en science politique à Sciences Po Lille et chercheur au CERAPS. Ses travaux portent sur la sociologie du numérique, la participation politique en ligne, les nouvelles méthodes d'enquête à l'ère numérique et la sociologie des pratiques culturelles. Il a récemment publié Jeunesses connectées, les digital natives au prisme des inégalités socio-culturelles aux Presses universitaires du Septentrion (2022).

Il est également l'auteur d'Analyser les opinions politiques sur Internet, aux éditions Dalloz (2016), un ouvrage issu de son manuscrit de thèse.

 

 

 

Nathalie Casemajor

Cultures de données: regard transatlantique sur la mise en données des publics

 Depuis une douzaine d’années, la « culture des données » s’est imposée comme une nouvelle catégorie de pensée pour appréhender les publics de la culture et leurs pratiques. Elle réfère à un ensemble de dispositions permettant de s’orienter et de travailler dans un monde de plus en plus médiatisé par les données numériques. Le paradigme de la « culture des données » a inspiré plusieurs dispositifs institutionnels dans le champ des arts et de la culture. Ces dispositifs visent à collecter, agréger, analyser et partager des ensembles de données qui renseignent sur les profils sociodémographiques des publics et leurs comportements culturels. En Grande-Bretagne, la base de données Audience Finder est alimentée par les organismes culturels et artistiques qui reçoivent du financement public. En France, le Pass culture est un autre type de dispositif alimenté directement par les choix de consommation des publics. Au Québec, Culture pour tous explore le modèle juridique de la fiducie de données comme outil de mutualisation dans le secteur culturel. Ces dispositifs ont en commun de répondre au phénomène croissant de la « mise en données » (datafication) des publics. Quels sont les effets normatifs, les régimes de valeur et les prescriptions associés à la « culture des données » ? L’objectif de cette présentation est de porter un regard transatlantique (depuis le Québec) sur cette catégorie de pensée et ses répercussions pratiques sur les pratiques professionnelles dans le domaine culturel.

 

Biographie

 Nathalie Casemajor est professeure-chercheure au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS (Institut national de la recherche scientifique, Montréal). Son travail porte sur le développement culturel, la mobilisation citoyenne et la culture numérique.

 Elle est directrice scientifique de l’Observatoire des médiations culturelles (OMEC) et a coédité le livre Expériences critiques de la médiation culturelle (PUL, 2017). Elle a également mené des projets de recherche sur les institutions culturelles et Wikipédia, sur la participation culturelle numérique ainsi que sur la circulation des œuvres d’art sur le Web.

 

Sélection de publications

Casemajor, N., Bellavance G. et Sirois G. (2021). « Cultural participation in digital environments: goals and stakes for Quebec cultural policies. » International Journal of Cultural Policy 27 (5): 650-666.

Casemajor, N., Sirois, G., Mathieu, L-C.; Morin, A.; Melançon, L. (2021). La gouvernance des données d’usage : enjeux éthiques et perceptions des publics dans les bibliothèques et archives. Synthèse de la littérature. Institut national de la recherche scientifique, Montréal.

Casemajor N., Bellavance G., Sirois G. avec la collaboration de El Ouardi M., Jamet R., Jeldi M. et Perron A. (2018), Pratiques culturelles numériques et plateformes participatives. Opportunités, défis et enjeux, FRQSC Action concertée sur la culture et le numérique – Synthèse des connaissances, Montréal, INRS. 188 p.

 

 

Maria Eriksson

Corporate secrecy, legal gray zones, and risk-taking in the study of culture in digital contexts

L'étude de la culture a toujours été chargée politiquement et façonnée par des problèmes d'accès aux acteurs clés, à l'information et aux espaces physiques. Sans surprise, c'est également le cas des études sur la culture dans les contextes numériques, où la plupart des échanges culturels ont lieu sur des plateformes numériques commerciales qui sont méticuleusement gouvernées et contrôlées. Ces plateformes ont un impact significatif sur la culture par leur façon de trier/classer le contenu culturel, de traiter les données des utilisateurs et de déléguer les processus de prise de décision à des systèmes automatisés. Pourtant, la volonté des entreprises technologiques de collaborer avec les chercheurs en sciences humaines et sociales reste, au mieux, incertaine. Comment concilier l'intérêt du public à mieux comprendre le fonctionnement des plateformes en ligne et la nécessité de respecter les intérêts des entreprises ? Quels sont les méthodes et les outils à la disposition des chercheurs qui étudient la logique et les pratiques des plateformes en ligne ? S'inspirant d'un projet de recherche de cinq ans qui a exploré les politiques des plateformes de streaming en général - et Spotify en tant que service d'agrégation de musique en particulier - cet exposé réfléchit aux problèmes et possibilités méthodologiques dans l'étude de la culture en ligne. En particulier, il sera question des incertitudes juridiques entourant la recherche sur et à propos des plateformes numériques et de la manière dont ces incertitudes peuvent avoir un impact sur la liberté de la recherche académique.

 

Biographie

Maria Eriksson est post-doctorante et associée de recherche au Seminar for Media Studies à l'Université de Bâle, en Suisse. Ses recherches se situent à l'intersection des études logicielles, de l'anthropologie sociale et de l'étude des sciences et de la technologie et se concentrent sur l'interaction entre la culture et la technologie. Elle est l'une des coauteurs du livre Spotify Teardown (2019, MIT Press) et a précédemment publié des recherches sur les "disruptive software updates", les dimensions culturelles des systèmes de recommandation musicale et les politiques logistiques des playlists musicales. Depuis 2020, elle participe à plusieurs projets de recherche étudiant comment les modèles d'IA et d'apprentissage automatique peuvent - ou non - donner un sens aux archives numérisées de sons, de photographies et d'images animées.

Sélection de publications

Eriksson M. et.al. 2019. Spotify Teardown: Inside the Black Box of Streaming Music. MIT Press.  

Eriksson M. 2020. The Editorial Playlist as Container Technology: Notes on the Logistical Role of Digital Music Packages. Journal of Cultural Economy 13(4).  

Eriksson M. & Johansson, A. 2018. “Keep Smiling!": Time, Functionality and Intimacy in Spotify’s Featured Playlists. Cultural Analysis 16.  

Morreale F. & Eriksson M. 2020. “My Library Has Just Been Obliterated”: Producing New Norms of Use Via Software Updates. Proceedings of the 2020 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems.   

 

 

 

Nick Seaver

Computing Taste: Care and Control in Algorithmic Music Recommendation

Les créateurs de systèmes de recommandation musicale ont de nobles objectifs : ils souhaitent élargir les horizons des auditeurs et aider les musiciens obscurs à trouver un public, tirant parti des énormes catalogues des services de streaming musical. Mais pour leurs détracteurs, les systèmes de recommandation semblent incarner tous les méfaits potentiels des algorithmes : ils réduisent la culture à des chiffres, ils normalisent une collecte de données toujours plus vaste et ils profilent leurs utilisateurs à des fins commerciales. Cette communication présente les résultats de plusieurs années de travail ethnographique sur le terrain avec des fabricants de recommandations musicales aux États-Unis, décrivant comment ils naviguent entre les tensions entre le soin et le contrôle dans la construction de systèmes algorithmiques.

 

Biographie

Nick Seaver est professeur adjoint au département d'anthropologie et directeur du programme Science, technologie et société à l'université de Tufts. Ses recherches portent sur la théorisation culturelle des experts techniques, en particulier concernant les chercheurs et les praticiens de l'apprentissage automatique. Il a publié sur des sujets tels que les théories commerciales du contexte, l'anthropologie du piégeage et les méthodologies ethnographiques pour l'étude des systèmes algorithmiques.

Récemment, il s'est tourné vers l'étude de la vie technoculturelle de l'"attention" dans et autour des systèmes d'apprentissage automatique. Il est l'auteur de Computing Taste : Algorithms and the Makers of Music Recommendation (2022), une étude ethnographique des développeurs de systèmes de recommandation, et co-éditeur de Towards an Anthropology of Data (2021). Il a été coprésident du comité de l'American Anthropological Association pour l'anthropologie de la science, de la technologie et de l'informatique. Il est titulaire d'une licence en littérature de l'université de Yale, d'un master en études comparatives des médias du Massachusetts Institute of Technology, ainsi que d'une maîtrise et d'un doctorat en anthropologie de l'université de Californie à Irvine.

 

Sélection de publications

2023 Attention Is All You Need. In Scenes of Attention, ed. D. Graham Burnett and Justin E.H. Smith. Columbia University Press. 

2021 The Political Economy of Attention. With Morten Axel Pedersen and Kristoffer Albris. Annual Review of Anthropology 50: 309–325.

2021 Care and Scale: Decorrelative Ethics in Algorithmic Recommendation. Cultural Anthropology 36 (3): 509–537.

2021 Seeing Like an Infrastructure: Avidity and Difference in Algorithmic Recommendation. Cultural Studies 35 (4–5): 771–791.

2021 Everything Lies in a Space: Cultural Data and Spatial Reality. Journal of the Royal Anthropological Institute 27 (S1): 43–61.

2019 Shaping the Stream: The Techniques and Troubles of Algorithmic Recommendation. With K.E. Goldschmitt. In Cambridge Companion to Music and Digital Culture, ed. Nicholas Cook, Monique Ingalls, David Trippett, and Peter Webb. Cambridge University Press, 63–81.

 

 

Marta Severo

Institutions culturelles, amateurs et plateformes : configurations et frontières

 

Ces dernières années, le développement des technologies numériques a donné un nouvel élan à la figure de l’amateur, notamment dans le domaine de la culture. Divers acteurs associatifs, institutionnels ainsi que commerciaux ont ouvert des plateformes contributives pour permettre aux amateurs, ou plus généralement aux citoyens, de participer à la construction des savoirs. La recherche scientifique sur ce sujet tend à identifier et à décrire deux phénomènes opposés : d’une part, les plateformes amateurs enracinées dans la culture participative, et d’autre part, les plateformes institutionnelles, souvent incarnées sous la forme d’outils de crowdsourcing. À travers l’analyse de plusieurs cas d’étude, cette communication montrera l’intérêt de dépasser cette opposition et d’étudier les circulations d’acteurs et d’idées à travers différents dispositifs numériques. En rejetant l’idée de plateforme comme un espace numérique unique et autosuffisant, nous proposons de considérer et d’analyser la plateforme contributive culturelle comme un environnement cross-média et multi-espace mettant en relation les espaces numériques des amateurs et des institutions et capable de créer des zones « frontières » pouvant répondre à divers besoins expressifs collectifs et individuels.

 

Biographie

Marta Severo est professeure des universités en sciences de  l’information et de la communication à l’université Paris Nanterre et  membre junior de l’Institut universitaire de France. Elle est membre et  directrice adjointe du laboratoire Dicen-IdF. Les pratiques  participatives et contributives en ligne figurent parmi les thématiques  de recherche qu’elle développe.

Elle a obtenu plusieurs financements (en  particulier le projet ANR COLLABORA sur les plateformes  contributives culturelles). En 2019, elle a rejoint le conseil  scientifique d’OpenEdition. Elle a publié plusieurs ouvrages autour des  pratiques culturelles numériques:  Amateurs et institutions: perspectives historiques et explorations numériques (2022, avec F. Filipponi),  L'impératif participatif : institutions culturelles, amateurs et plateformes (2021), Patrimoine culturel immatériel et numérique (2016, avec S. Cachat).

 

 

Fred Turner

The Uses of Art in Silicon Valley

Chaque année, au mois d'août, des milliers d'ingénieurs en informatique se rendent dans un désert aride pour vivre pendant une semaine au sein d'une communauté consacrée à l'art : le festival Burning Man. Tout au long de l'année, les codeurs de Facebook travaillent à leur bureau, entourés de peintures murales qui ressemblent à de l'art de rue. La question est de savoir pourquoi. Qu'apporte l'art aux travailleurs qui se consacrent à l'élaboration de nouvelles technologies ? Les analystes ont souvent affirmé que les mondes de l'art inspiraient les technologues à développer de nouveaux outils et, par conséquent, à remodeler à la fois l'ingénierie et la culture. Cette communication défend un point de vue différent. S'appuyant sur des recherches approfondies sur le terrain et des dizaines d'entretiens, il montrera comment, dans la Silicon Valley au moins, les mondes de l'art modèlent, légitiment et fournissent ainsi une infrastructure culturelle clé pour les nouvelles méthodes de travail qu'exige le développement technologique. 

 

Biographie

Fred Turner est professeur de sciences de la communication à l'université Stanford. Il y est titulaire de la chaire Harry and Norman Chandler, et participe à l'enseignement des départements d'histoire, d'art et d'histoire de l'art.
 
Fred Turner a été journaliste freelance pendant dix ans. Il a enseigné la communication au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et à la John F. Kennedy School of Government de Harvard. Il rédige régulièrement des articles pour la presse et les magazines autour de l'impact des technologies sur la vie des Américains.
 
Les recherches et les écrits de Fred Turner portent sur les médias, la technologie et l'histoire culturelle des États-Unis. Il s'intéresse en particulier à l'impact des médias émergents, du multimédia et de l'Internet sur les modes de vie et les imaginaires collectifs depuis la Seconde Guerre mondiale. Ses livres ont obtenu de nombreux prix pour l'originalité de son travail, aux confins des études historiques, artistiques et sociologiques.
 
 
Sélection de publications
 
Fred Turner. Aux sources de l'utopie numérique. De la contre-culture à la cyber- culture: Stewart Brand, un homme d'influence (C&F éditions, 2012, 428 p., ISBN 978-2-915825-10-7). Version originale: From Counterculture to Cyberculture. Stewart Brand, the Whole Earth Network, and the Rise of Digital Utopianism, University of Chicago Press, 2006. Traduit de l'anglais par Laurent Vannini.
 
Fred Turner. Le cercle démocratique. Le design multimédia, de la Seconde Guerre mondiale aux années psychédéliques (C&F éditions, 2016, 384 p., ISBN 978- 2-915825-64-0). Version originale: The Democratic Surround: Multimedia and American Liberalism from WWII to the Psychedelic Sixties, University of Chicago Press, 2013. Traduit de l'anglais par Anne Lemoine.
 
Mary Beth Mechan (photographies et récits) & Fred Turner (essai). Visages de la Silicon Valley (C&F éditions, 2018, 112 p., ISBN 978-2-915825-86-2). Traduit de l'anglais par Valérie Peugeot.
 
Fred Turner. L'usage de l'art. De Burning Man à Facebook, art, technologie et management dans la Silicon Valley, Caen, C&F Editions, coll. « Société numérique », 2020, 144 p.

 

Personnes connectées : 2 Flux RSS | Vie privée
Chargement...